Qu’est-ce qui a poussé, pour la première fois, la femme (ou l’homme) de cromagnon à aller voir derrière la colline si le mammouth y était ? Qu’est-ce qui a bien pu la titiller au point de quitter le calme rassurant de sa caverne? La nécessité ou la curiosité ? L’imminence d’une inondation ou déjà le désir d’agrandir la surface de son carré de jardin ?
Le désir d’aller voir plus loin, de sortir de sa condition est une vieille, très vieille histoire entre l’être humain et le monde qui l’entoure.
Quand le simple fait de partir, le nez au vent, nécessite seulement une certaine dose de courage, il est souvent beaucoup plus compliqué de savoir revenir au point de départ. Sans GPS, sans carte, sans boussole, comment faisaient nos lointains ancêtres pour se repérer ?
Illuminant le ciel nocturne de notre planète, ce sont les étoiles qui furent nos premiers guides, ce sont elles qui furent l’objet des premières cartes, comme en témoignent les représentations de la couronne Boréale, de Vega et Altair dans les grottes de Lascaux. Donc à l’époque, quand, en bon chasseur-cueilleur, on partait chercher une provision de champignons pour accompagner son ragoût de chacal, il était préférable d’éviter de se perdre car il n’y avait plus que les étoiles pour vous ramener à la maison.
Du ciel à la terre
Au cours des 170 siècles qui nous séparent des représentations de la grotte de Lascaux, les civilisations se sont succédées et la planète a livré petit a petit ses secrets aux navigateurs phéniciens, aux commerçants touaregs et aux guerriers vikings. Grâce à la ténacité de milliers d’explorateurs arpentant les forêts, scrutant les étoiles et mesurant la largeur des fleuves, les premiers géographes ont pu dessiner des cartes représentant, parfois de façon très approximative, le monde tel qu’ils le comprenaient.
Mais une chose est sûre : même si le grec Anaximandre représentait la terre de façon cylindrique, plaçant les territoires connus au centre et le tout entouré par l’océan à perte de vue, aucun scientifique digne de ce nom n’a jamais défendu l’idée que la terre serait plate. Cette curieuse théorie semble n’avoir émergé que très tardivement et s’être considérablement amplifiée ces dernières décennies. D’ailleurs, une étude Ifop montre à ce sujet que près d’1 français sur 10 pense que la terre est plate.
De leur côté, les romains concevaient des cartes schématiques légendées centrées sur la voirie, les fleuves et les contours des reliefs. Celles-ci se présentaient sous forme de rouleau de parchemin dont le plus célèbre, la Table de Peutinger constitue un ensemble de 6,82m par 34 centimètres, alignant 200 000km de routes. C’est sans doute ce travail de Titan qui leur permi d’affirmer avec aplomb que « tous les chemins mènent à Rome ».
OK Google : « Merci Ptolémée ! »
Claude Ptolémée, père de la géographie, compila l’ensemble de toutes les connaissances précédentes avec sa « carte de l’univers connu ». C’est à partir de ses réflexions et observations qu’il posa les bases fondamentales d’un système de repères précieux que nous utilisons toujours aujourd’hui : la latitude et la longitude. Pour ceux qui se contentent de situer le Nord en haut de la carte, faisons simple : la latitude se repère sur 180 lignes horizontales (la latitude zéro étant l’équateur, le pôle nord étant à 90° de latitude Nord) et la longitude se repère sur autant de lignes verticales. Ainsi, notre scientifique pouvait situer sa ville natale, Alexandrie à 31° de latitude Nord et 29° de longitude Est.
Alors à chaque fois que vous calculez votre itinéraire sur Google Map, s’il vous plaît, dites « Merci Ptolémée».
Cap vers l’inconnu !
Lorsque le Moyen-Âge vit l’ignorance recouvrir l’Europe, l’intérêt pour les cartes disparut au profit d’une recherche intensive sur les armes en tous genres, les instruments de torture et la façon dont on pourrait éviter d’attraper la peste.
Il fallut attendre le XVe siècle et ses grandes découvertes pour voir renaître la géographie et les mathématiques. Durant cette période bouillonnante que fut la Renaissance, les monarques à perruques et en bas de soie, aidés par de riches compagnies commerciales financèrent de grandes expéditions dans le but de poursuivre l’exploration du monde, et d’en cartographier ses confins dans l’espoir à peine masqué de s’approprier ses trésors.
Les portugais et les espagnols sillonnèrent le globe, Christophe Colomb en tête. Celui-ci, convaincu de rallier les Indes en faisant le tour de la terre, tomba par hasard sur les Caraïbes et aborda ensuite une terre insoupçonnée : les Amériques.
Vasco de Gamma parvint, lui, à trouver la voie maritime pour rallier les Indes en contournant l’Afrique par le biais du redoutable Cap de Bonne Espérance.
Le XVIe siècle vit déferler quantités de mappemondes, atlas et planisphères. Mais malgré les efforts cumulés de tous ces explorateurs, il restait encore sur ces cartes la mention terrible
« Terra Incognita », siège de tous les fantasmes, dragons, serpents de mer et autres créatures extraordinaires. Sous les assauts répétés de missionnaires, évangélisateurs, le mystère des terres inconnues se dissipa peu à peu, donnant lieu à des représentations de plus en plus précises. Ainsi, les poétiques Mappa Mundi et autres Theatrum Orbis Terrarum laissèrent la place aux cartes d’Etat-Major et enfin aux célèbres cartes IGN à l’échelle 1/25000, fidèles compagnons des circuits de Grande Randonnée.
De la terre aux étoiles
Alors que la surface de la terre n’opposait plus beaucoup de résistance à la curiosité incurable des géographe, le vingtième siècle se tourna de nouveau vers les étoiles. En avril 1961, à 6h07, la mission russe Vostock catapulta Youri Gagarine dans l’espace.
Huit ans plus tard ce fut au tour des américains avec le programme Apollo de nous promettre la lune. Promesse tenue par Buzz Aldrin et Neil Armstrong qui, au moment de poser le pied sur le sol déclara: « c’est un petit pas pour l’Homme mais un grand pas pour l’Humanité ».
Voir la terre de l’espace donna sans doute des idées aux cartographes restés sur leur faim puisque 4 ans plus tard, l’armée américaine, encore elle, initia le lancement de 24 satellites en orbite autour de la terre pour le déploiement de son « Global Positioning System » : le GPS. Pleinement opérationnel depuis 1995, il permet aujourd’hui à toute personne équipé d’un récepteur adapté de connaître sa position à toute heure en en tout lieu sur la surface de la terre avec une précision moyenne de 5 à 10 mètres.
Cette technologie nous a permis de réaliser un saut extraordinaire : plus besoin de chercher à l’horizon un clocher, un phare ou un moulin, de convoquer Thalès et Pythagore, finies les heures passées à attendre que les nuages nocturnes laissent apparaître Orion ou Vénus !
Tout ça pour ça…
Après 17 000 ans de recherche pour comprendre l’organisation spatiale du monde, en établir des mesures et des représentations précises, seulement quelques dizaines d’années ont suffit pour rendre a priori obsolète l’apprentissage de l’orientation.
Aujourd’hui, qui cherche encore sa destination sur une carte quand il suffit de dicter l’adresse à son assistant vocal et de suivre les indications, le nez collé à l’écran ?
Quand les fans de Mike Horn crient au scandale et que les fainéants chroniques crient au génie, certains scientifiques alertent tout de même sur les dangers du recours systématique au GPS pour s’orienter. Car dans notre tentative d’augmenter notre puissance d’agir grâce à tout un attirail d’objets connectés, ne risque t-on pas finalement d’y perdre le nord ?
Rémi Balligand
Co-fondateur d’Outsiders